Ma douleur...

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J'ai retrouvé quelques notes que j'avais prise lors de ma dernière rupture avec mon ancien compagnon pervers narcissique. Une période qui dura quelques mois.

Cette période compta parmi les plus douloureuses de mon existence. Je courais sans le savoir à ma perte, avec une ferveur sans pareille. Ma dose de douleur me manquait. Son silence me consumait autant qu'il m'exaspérait, je voulais comprendre ce qui m'avait conduit dans cette impasse.

Depuis toujours, notre relation avait pour base la destruction. Lui cherchait à détruire mon innocence et moi, je voulais combattre sa part sombre. Un bras de fer pervers nous unissait. Prendre le pouvoir sur l'autre, le rendre conforme à nos idéaux, nous vivions dans une aliénation grandeur nature à la différence qu'il en était l'instigateur tandis que je n'étais que la suiveuse. 
Nous ne jouions pas dans la même catégorie. 

Du début à la fin, je n'ai jamais cessé d'espérer un renouveau. La personne que j'avais entrevue lors de nos premiers mois ensemble me manquait et une obsession m'étreignait du soir au matin : la retrouver. Mais on ne retrouve pas les mirages. Ils disparaissent comme neige au soleil emportant avec eux les espoirs tacites que l'on aperçoit dans nos rêves, moments de grâce qui n'appartiennent qu'à nous.

Il me manquait comme la bonne santé manque aux tuberculeux. Je ne vivais que dans l'espoir de le voir réapparaitre. Me réveiller un matin et qu'il soit là, à mes côtés en me disant que ces mois sans lui n'étaient qu'un cauchemar et que rien d'autre que notre amour n'avait jamais existé. Je guettais souvent mon téléphone telle une adolescente en manque d'attention. Parfois m'arrivait-il que mes pas me portent jusqu' à sa porte et là, le courage me manquait pour sonner. 
Sans lui, je n'étais plus rien. Il m'avait tant de fois prédit que s'il me laissait, je me retrouverais incapable de mener à bien mon quotidien. Il avait raison. J'étais finie avant que ma vie n'ait réellement commencée.

Il m'obsédait.
Dans chaque visage que je croisais, j'entrevoyais des similitudes avec ses traits. Certains mots que j'entendais me rappelaient ceux qu'ils prononçaient. Il était partout alors qu'il n'était plus là.
J'étais droguée à notre jeu, piquée à ma dose de chaud et de froid, je ne savais plus vivre autrement qu'en sentant mes émotions se déchirer à chaque fois que nous retrouvions seuls.
Il me semblait que ma vie avait commencée le jour où je l'ai rencontré. C'était pourtant l'inverse.
Je n'avais jamais été aussi proche de la mort.


Je ne me souviens pas d'avoir rédigé ces notes. Je les ai retrouvés en rangeant une commode comme on le fait les soirs d'ennuis. 
Je reconnais mon écriture et certaines de mes expresssions. Les situations décrites me parlent toutes mais je ne me revois pas en train de les écrire. Le changement d'encre indique que j'ai repris le texte plusieurs fois. De nombreuses ratures parsèment les feuillets, quelques tâches qui ressemblent à des larmes venues rejoindre la postérité au fil des phrases. Ces pages sont miennes mais je ne me rappelle pas me les être un jour appropriées.

Cet oubli, je le dois sans doute aux médicaments que je gobais comme une ménagère s'empiffre de chips devant " Danse avec les stars". Les anxiolytiques trop librement prescrits m'ont poussés encore plus vite vers ma perte. Je contribuais à la bonne marche de l'industrie pharmaceutique dirons nous. Mais c'est payé. Désormais ce travers fait parti du passé.

Que dire de plus sur ce qui va suivre...

Avec le temps on n'oublie rien, celui qui vous dis le contraire se moque de vous, mais avec le temps, on finit par s'en foutre. Et c'est déjà bien. 

Voilà pourquoi je ne ressens plus ni honte ni gêne à relater cet épisode

C'est une promotion que la douleur octroie à ses victimes : elle les anesthésie pour la vie. 

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Le "je" qui se veut narrateur fût le mien ne m'appartient plus.

Les personnages sont désignés par des lettres majuscules afin que je n'ai pas à me faire refaire le nez une seconde fois.

Les faits énoncés sont retranscrits dans leurs authenticités. 


Ce sont des notes recopiées aussi ne vous attendez à lire du Shakespeare c'est même pas moi qui les ai écrites mais l'ombre de moi-même alors je remercie d'ores et déjà votre indulgence.













15 Septembre 2017



Je me demande si E m'a réellement quitté pour cette gamine de dix-huit ans.

C'est impossible, il s'agit encore sûrement d'une cabale.

Combien de fois des nanas se sont mises entre nous?

J'ai toujours gagné alors pourquoi celle-là me le prendrait? Si c'était le sosie d'Audrey Hepburn, je pourrais capituler mais là, c'est loin d'être le cas.

Cette fille est d'une vulgarité affligeante, parle aussi bien français qu'un indien autiste sur le déclin.

Comment est-ce possible ?

Je ne pense pas tout avoir mais elle, elle n'a vraiment rien... à moins qu'il aime en elle ce que je n'ai pas... le goût de la fête par exemple.

En plus, elle l'appelle "papa"... Quelle genre de femme en séduction appelle son crush papa à part dans un mauvais porno...

" Oh oui daddy...."

C'est pathétique.

J'admire les acteurs capables de bander sur commande  mais les scénaristes de films X me donnent honte d'écrire. A quand un "Autant en emporte le vent " version porno ? Je me le demande.


Plus tard


La dernière fois que j'ai vu E, il m'a jeté dehors tandis qu'à elle, il lui a dit de rester.
Il rigolait. La situation l'amusait visiblement. Cette gamine m'annonce devant une vingtaine de personnes qu'elle se tape mon mec et lui, il rit et c'est moi qu'il traite de parano. Il faudrait m'expliquer la logique.

La première fois que la fille est venue me narguer à la sortie du journal, il m'avait répondu qu'elle 'était qu'une employée comme une autre et qu'il n'y avait rien entre eux. 

_" Elle est plus jeune que ma propre fille, m'avait- il lancé avant de retourner vaquer à ses occupations, tu deviens folle. " 

Et je l'ai cru. J'ai même continué à donner foi à ses propos quand elle est revenue me parler. Alors comment en sommes-nous arrivés là ?

Peut-être me reproche-il mes doutes...

Peut-être l'avais-je blessé en l'accusant à tort....

C'est ce qu'il a semblé insinuer la dernière fois que nous nous sommes vus. Elle semble pourtant si sûre d'elle... Je ne sais plus...

Peut-être est-elle jalouse de notre relation... Il m'a dit à un moment qu'elle avait folle...( comme moi ?)

Après tout, une fille qui appelle "papa" le gars qu'elle tente de séduire ne peut être saine d'esprit...

Je veux savoir et je saurais.



7 Octobre 



E me manque. C'est affreux. J'en suis à ma troisième lettre sans réponse, seul moyen de communiquer depuis qu'il m'a bloqué sur les réseaux sociaux.

" Je te suis redevable des beaux moments que nous avons vécus."

" Je garde avec moi un coin d'éternité, celui de ton sourire au milieu du soleil."

Un peu mélo mais je sais qu'il raffole des déclarations pompeuses. J'espère qu'il va me répondre. J'attends. J'attendrai toute ma vie s'il le faut.



9 octobre 


J'apprends de la bouche d'une amie commune, M, qu'il like les photos de cette fille. Chacune de ses photos, sans la moindre exception. Du sandwich gobé à la sauvette à ses vidéos où elle se la joue Ariana Grande.

Nous sommes sur le Cour Mirabeau et je suis au bord de la crise de nerf. Pour un peu, je m'allongerais sur le premier banc en attendant que quelqu'un vienne m'achever. C'est trop pour moi. Même les réseaux m'en veulent...

Quand je pense que je vais devenir faire bonne figure au Caumont dans cette pathétique réunion de bienfaiteurs du dimanche, qui pour un don annuel de cent euros pour certains se prennent pour l'abbé Pierre. L'élitisme m'agace. Le snobisme me tue. Je ne suis à ma place nulle part. Même dans les bars où je traine ma peine, je suis de trop.

La laideur du petit monde équivaut à l'aigreur du demi monde.
Relever la tête pour se sortir de sa condition, c'est bien vu tandis que la courber pour redescendre d'un piédestal de pacotille, ça fait grand genre.
Si les pauvres aiment se la jouer riche, il n 'a jamais été aussi tendance pour les riches de singer l'indigence.

Revenons à nos moutons.


Une fois arrivée, je sirote du champagne en faisant à moitié bonne figure. Je fais semblant de m'intéresser aux potins des uns et aux anecdotes des autres. En vérité, je me contente d'être là. Après tout, ma cotisation me donne le droit de boire à l'oeil au milieu de snobinards qui pensent que leur contribution les place au dessus de tout y compris d'eux-même.

M se fait passer pour une donatrice auprès des sociétaires.Personne n'est dupe. Pas plus les serveurs que les membres de la Caumont family comme on dit à Aix.
Si la même scène avait eu lieu quelques années plus tôt, je l'aurais fait dégagé vite fait bien fait. Mais ma réputation n'a plus d'importance désormais et puis, tout le monde se fiche bien que je ramène des mythomanes à cette petite fête : ils sont tous bourrés.

E ne me voulait même pas accepter mon invitation sur Facebook. Il me jurait que son compte n'existait que pour le travail et désormais il aimait les photos de cette gamine. Le monde ne tournait plus rond. Il avait du recevoir un choc récemment.

Je me surpris à relativiser.

Sur le chemin du retour, je me disais : 

On ne baise pas en likant...quoique.
Mais peut-on baiser sans avoir liker au moins une fois ?

Tels sont les noeuds des drames amoureux à notre époque : une caricature des sentiments passés.
Au moins au temps de Racine, les tragédies avaient encore de la gueule : on s'immolait à la fin tandis que maintenant on se retrouve bloqué.


5 octobre 


Un des copains de E me parle sur Facebook depuis hier.

Serveur depuis ses vingt ans, rond comme une pièce de monnaie, avec un penchant prononcé pour la farine et le vin blanc, dépourvu totalement de conversation, tel est mon prétendant.

Sa femme peut dormir sur ses deux oreilles. Personne ne le lui prendra. Moi pas plus qu'une autre. 

Je profite néanmoins de cette embellie  pour glaner quelques précieuses informations. 

Très vite, me sentant venir, il m'annonce que si je veux en savoir plus, il va falloir que nous nous rencontrions.

La seule idée de devoir passer du temps avec lui contribue à perpétuer cette nausée qui m'étreint à chaque seconde de chaque minute de chaque heure qui s'écoule.

Mais le doute me consume.

Je deviens dingue. 

Pour faire sa difficile, il faut avoir la main or il est évident que je ne l'ai plus depuis longtemps. 
Je me rendrais donc  au rendez-vous qu'il m'a fixé avec une certaine dose de Xanax dans le sang. Il faut ce qu'il faut pour supporter l'insupportable.



Un peu plus tard 


Apparemment je plais beaucoup à ce gars. En même temps, je demeure convaincue que tout ce qui a un vagin et pèse moins de cent kilos est susceptible de lui plaire. Mon ego n'est pas boosté, il est déglingué. Si un type pareil me prête de l'intéret, je dois être vraiment très belle à regarder...

Il me fait des avances avec des fautes d'orthographes via Messenger, me drague lourdement sur Instagram. Il me courtise à coup de smiley. Les femmes de son milieu sont certainement sensibles aux lourdeurs, moi ça me tue.

Il commente mes photos avec philosophie : wow / canon BB / like it
Je réponds " merci" avant de supprimer ces petits mots. Il faut bien sortir les poubelles de temps en temps.





19 octobre 2017



Je crois que je préférerais mourir que d'avoir à supporter encore longtemps ce silence qui ressemble tant à de l'indifférence.

G m'a donné rendez-vous dans un bureau de tabac vers Saint Marguerite dans le dixième arrondissement de Marseille. Décidément, il me sort le grand jeu. 

J'arrive un quart d'heure avant l'horaire qu'il m'a indiqué afin de pouvoir m'imbiber des lieux au cas où ça se passerait mal. Je repère un chemin de sortie au cas où son romantisme m'étoufferait.

Je m'installe à une table sous les yeux pesants d'une dizaine d'hommes venus jouer leurs salaires au PMU. En les entendant parler, je comprends qu'ils n'y connaissent rien aux courses. Quand comme moi, on a grandi en passant ses dimanches à l'hippodrome à applaudir Black Jack, Tonnerre et Rubis, on distingue rapidement les connaisseurs des novices. Comme au poker, ces derniers ne font jamais illusion bien longtemps. Je ris intérieurement en parcourant le journal du jour qu'on a abandonné sur la table voisine.

Je le vois entrer dans le bar. Il parait plus grand que dans mon souvenir, la faute sans doute à son torse trop bombé et à sa tête relevé. A sa démarche, il semble prompt à conquérir la terre entière. Les bises qu'il claque aux habitués respirent la suffisance. Je suis là.

Quand il s'approche de moi, je constate qu'il porte les mêmes vêtements que E.
Je reconnais la marque grâce au logo. Le blouson qu'il porte est le même que celui que j'ai offert à E pour son anniversaire. Cette coincidence me trouble. 


Après s'être installé à mes côtés, je sens son regard peser sur moi avec une lourdeur que les visiteuses de prison doivent bien connaitre. Il tente tant bien que mal de me sourire mais je feins de l'ignorer.
J'en ai vu défiler des hommes devant moi mais celui-là à le don de m'exaspérer avant même de me parler.

_ Content que tu sois venu, finit-il par lâcher.

_ Je n'ai pas le choix.

_ Bien sûr que tu l'as. On ne t'a pas forcé à venir que je sache...

_ Parle moi de E.

Sans préambule, il m'annonce que si je veux des informations concernant E, je vais devoir le revoir...et me montrer plus gentille...

Comme je suis obligée de le garder sous le coude pour avoir des nouvelles de E, je n'ai pas d'autre choix que d'aller dans son sens.

Mes pensées disent " Il ne faut pas se payer des souvenirs au dessus de ses moyens..."

Ma bouche dit " On verra ".



27 octobre


M me propose de participer à sa fête d'Halloween. Dans d'autres circonstances, je me serais déguisée en Catwoman et j'aurais été contente de jouer à l'ado le temps d'une soirée mais là, je ne me vois pas singer la bonne humeur.
Je plomberais l'ambiance si j'y allais. Alors je vais me contenter de regarder " Scream " avec mon chat... Catmama, ça me va mieux au teint.

J'ai le moral en berne.
E ne donne toujours pas de nouvelles.
Mes dialogues avec G continuent.
Je me dégoute. 

Ce qui est bien c'est que le malheur fait maigrir. J'ai retrouvé une ligne parfaite digne des mannequins de Victoria Secret à la différence qu'elles gagnent des millions et que moi, j'ai tout perdu.




31 octobre 



G m'a attendu devant ma porte d'entrée durant toute la matinée.
J'ignore comment il a eu mon adresse. Peut-être que E lui a donné. Je ne vois pas d'autres explications. C'est bizarre.

E2, mon ex, est chez moi. Il a fait le voyage pour s'assurer que tout allait bien. Apparemment, j'avais l'air tellement mal en point lors de notre dernière conversation téléphonique, qu'il a décidé de faire le voyage. Son attention me touche. Quand nous étions ensemble, je craquais déjà pour son côté gentleman. On ne se refait pas.

Pendant son séjour, nous emmenons son fils à la patinoire et au stade vélodrome.
On enchaine les restaurants et les parcs.

C'est amusant de jouer à la petite famille avec un mec qui n'est plus le votre mais celui d'une autre. Ce petit côté Back Street me fait vibrer. Je crois que je serais une maitresse parfaite tandis que je ferais une épouse à deux balles. J'aime l'excitation des retrouvailles, le piment de la clandestinité alors que le quotidien m'ennuie et le banal m'écoeure.

Je ne veux pas reproduire le schéma familial où les femmes attendent à la maison et où les hommes s'épanouissent au travail. J'ai suffisamment attendu mon père étant enfant.
Et voilà que j'attends le retour de E.
Ma vie est une salle d'attente. Quand la porte finit par s'ouvrir, il n'y a rien derrière. En fait, j'attends simplement de trouver la force de me sauver moi-même.




4 novembre


J'ai déjeuné avec G ce midi. Sa femme et ses gamins sont en vacances et lui, le pauvre type, il reste au bercail. Il raconte que sa belle famille ne l'aime pas... on se demande bien pourquoi... Avoir un gendre pareil cela doit être un sacré coup de massue pour une famille convenable comme semble l'être celle de son épouse.

Il m'a dit que E m'adorait et qu'apparemment j'avais tout gâché, il le lui avait dit. 
J'étais jalouse pour rien et voilà que je perdais tout pour une intrigante qui voulait seulement me le voler.

Quelle ironie cette histoire. Pour un peu, ce serait comique. 

Au dessert, G m'a avoué de but en blanc rêver d'être un jour à la place de E. 
Il voudrait que je crève d'amour pour lui... 
L'espoir fait vivre.

_" J'aimerais tellement que tu m'écrives des lettres aussi, lâche t-il sans préambule.

_ Il t'a dit que je lui écrivais ? 

_ j'ai lu et c'est très beau... un jour, à moi aussi,tu m'écriras de si belles choses...

_ Et ta femme, elle aimerait recevoir du courrier ?

_ Parle pas d'elle.

( Tiens tiens, ça hausse le ton quand on évoque bobonne...)

_ Pourquoi ? Lui demandais-je innocemment.Elle existe, non ? Ou tu te l'aies inventée pour faire bien ?

_ Tu te sens supérieure à moi pourtant un jour, tu me mangeras dans la main...

_ Plutôt crever.

( Me voilà qui me montre cash. Deviendrais-je adulte sans m'en rendre compte ?)

_ Tu verras.

Il rapproche alors son visage du mien. Je peux sentir son haleine fétide en contemplant le jaune de ses dents :

_ Je vais te montrer ma bonne foi,ajoute t-il, si tu ressors avec moi, je ferais en sorte de lui faire passer un message pour toi... Mais je veux une nuit entière sinon je ne lui parlerai pas. 

_ Tu n'as pas assez d'argent pour te payer une escort ? Ce serait tellement plus simple pour toi... tu sors les billets et on en parle plus...

Ma réponse le fait rire. Son ricanement semble interminable. Puis, il finit par reprendre son souffle.

_Penses-y, continua t-il, Je lui parlerai pour faire en sorte qu'il te pardonne. Il m'écoute à moi... Il m'apprécie beaucoup... C'est mon ami...Il fera ce que je lui dis...Alors, si tu l'aimes autant que tu le prétends, ça vaut le coup. Une nuit quand on aime, c'est pas grand chose...

Poussée par le dégoût, je commande un verre de rosé. Pour supporter une telle conversation, la lucidité n'est pas une alliée. Je vide mon verre d'un trait. C'est trop pour moi. Mes yeux s'embuent. Personne ne se doute dans cette salle qu'ils assistent à un assassinat psychique, un suicide en trois actes.

En sortant du restaurant, je décide de rendre visite à mes parents. Sur le trajet, je fais un malaise. Quand je me réveille, un attroupement s'est formé. Une vieille dame me demande qui appeler. Je réponds E avant de repartir dans les vapes. Bien sûr, il n'a pas répondu.



10 novembre 


E2 veut que je le rejoigne à Paris. Il pense qu'un peu de changement me ferait le plus grand bien. Il propose de m'emmener à la tour d'argent comme au temps où nous étions ensemble. 

Ça ne me tente guère. 
Remuer les souvenirs. Mélanger hier et aujourd'hui même si pour moi demain ne compte guère. On a vu mieux comme programme de fin d'année.

G me harcèle pour connaître ma réponse mais je n'en ai pas. Je ne pense même pas à vrai dire, je me contente de continuer à respirer en attendant que mes forces me lâchent.

Son discours a changé. Il prétend que E a couché deux fois avec la fille. Il le lui aurait dit. Je me refuse à le croire. 
Mieux vaut parfois rester dans le doute.
Dans le doute, il y a peut être de la peur mais il y a surtout de l'espoir.



23 novembre


S'il existait un pays réservé aux potiches, j'en serais la reine, partout et tout le temps. 

E2 vient de me dire que je suis plus belle quand je ne parle pas. 

Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. 

Je me souviens maintenant que je l'ai quitté en partie pour son franc parler...et son goût pour les étudiantes...décidément, je crois que tous les hommes de ma vie préfèrent les adolescentes... Il ne faudrait pas les lâcher devant un collège sinon gare aux teens...


Plus tard


J'ai croisé ma rivale alors que je tentais de retrouver une vie professionnelle. 

Ce qui est certain c'est que ce gars ne m'embauchera jamais dans son journal vu la manière dont elle est venue m'attaquer.
Pour sauver les apparences, je n'ai pas répondu même si intérieurement je voyais déjà se formaient dans mon esprit les images de son hospitalisation après son passage à tabac.

_ Mademoiselle ? Tout va bien ? Me demande le gars étonné de me répliquer des menaces aux insultes de cette inconnue.

_ Je crois que cette fille a volé le sac de ma mère la semaine dernière...Je suis navrée que vous ayez à assister à cette scène.

Sans mentir, je  mise sur le fait qu'elle ressemble à une clandestine et je connais les positions extrémistes de mon interlocuteur. Un jeu d'enfant.

L'allure de de la fille fait le reste. Le manager du restaurant la chasse de sa terrasse. Et moi, je rigole en solitaire. J'ai repris le pouvoir même de façon éphémère.

_ C'est quand même bizarre, me dit le gars.

_ Quoi donc, lui répondis-je en arborant mon plus beau sourire.

_ C'est bizarre que la clandestine qui a volé le sac de votre mère connaisse votre prénom...

Clap de fin sur la honte de ma vie.



4 décembre



Ma copine M et moi avons été au cinéma. C'est tellement agréable d'oublier ses problèmes le temps d'un film.

Puis nous avons discuté un moment comme au bon vieux temps. Elle m'a conseillé d'accepter la proposition de G. 

Je ne me sens toujours pas capable de passer la nuit avec lui.

Du temps où ma meilleure amie  était escort, j'aurais dû lui demander quelques conseils. Mais maintenant qu'elle nous joue le remake de Pretty Woman aux States, je me vois mal plomber son conte de fées.

Je me couche donc de bonne heure.



7 décembre 


Alors que je faisais mon jogging, j'ai aperçu E dans sa voiture. Il semblait avoir grossi. Ses joues étaient aussi rondes que celles que j'avais avant et qu'il détestait tant. J'ai cru que j'allais tomber à la renverse. E, là, devant moi, qui roulait tranquillement. Mon coeur s'est serré si fort. Il était là. 

En voyant son embonpoint, je me souviens qu'E a toujours préféré les filles maigres.
Les grosses poitrines, les fesses rebondies, les formes féminines dans leur globalité le répugnaient. Il me l'a suffisamment répété pour que je l'intègre.

Aussi s'il me revoit, il tombera à mes pieds : Je suis plate comme une limande et si on regarde bien mon bide, on peut voir poindre mon os du bassin. Appétissant tout ça !

E2, au contraire, me traite sans vergogne de cadavre. Il voudrait que je mange davantage mais je n'y arrive pas. Residus de mon anorexie passée sans doute. Il insiste beaucoup. Pour un peu, ça me toucherait.

J'ai rendez vous avec G ce soir. La seule idée de penser à la nuit qui va suivre me fait tourner la tête. Je ne cours pas près de la mer. J'y trop peur de vouloir me jeter dedans.



8 décembre.


Un orchestre de jazz donne un second souffle au repas.

G me donne un manuscrit qu'il a écrit dans son adolescence et qu'il rêverait de voir publier. N'étant pas éditrice, je lui rends son oeuvre sans la parcourir. J'en ai suffisamment lu des manuscrits de seconde zone lorsque je corrigeais les romans des autres pendant mes études.
On ne m'y reprendra plus.

Il tente à plusieurs reprises de me prendre la main mais à chaque fois, je la lui reprends. Je sens que mon attitude le glace mais je n'en ai que faire. Je suis obligée d'être là pour obtenir des réponses à mes questions mais aussi pour qu'il demande à E de me laisser une seconde chance et non pour jouer les amoureuses transies.

_ Parle moi de E, lui demandais-je en vidant un autre verre de Macon Lugny.

_ Si je te parle de lui maintenant, je n'aurais rien. Il est hors de question que je me fasse avoir. J'ai juré de t'avoir la première fois que je t'ai vu et c'est pas pour échouer si près du but. On verra demain matin... si tout se passe bien...

Il me débecte.
Je n'ai qu'une envie : lui donner la gifle de sa vie.

_ Tu ne m'auras jamais.

_ Alors tu ne retrouveras jamais E. C'est comme tu veux.

_ Tu n'es qu'un minable. Les mecs comme toi, obligés de s'adonner à un chantage ignoble pour se taper la nana de leur pote, c'est à gerber... Tu me dégoutes.

_ Il a quitté la France. Tu ne le retrouveras jamais à moins que tu ne t'expatries. Alors tu fais toujours ta maligne ? C'est bien fait pour ta gueule. Va te faire foutre.

G n'a jamais eu de nouvelles de E. Il me menait en bateau depuis le commencement. En une phrase, il s'était trahi, avouant malgré lui la réalité : il ne savait rien et n'avait probablement jamais rien su. 

Au fond, je m'aurais dû m'en douter. E ne s'est jamais confié. Il n'a jamais eu de véritables amis mais une armée de suiveurs prêts à tout pour être dans ses petits papiers.

_ Tu n'as jamais rien su...

_ Quoi ?

_ Tu n'as jamais rien su...

_ Si, il m'a fait lire tes lettres il y a deux mois mais depuis je n'ai plus de nouvelles. Nous ne sommes pas si proches que ça depuis qu'il ne bosse plus...

_ Aurevoir  G.

_ Si tu pars, je lui dirais que j'ai couché avec toi...

_ J'aimerais bien voir ça.

_ Passe la nuit avec moi et il ne saura rien de nos rendez-vous... Sinon, je lui parlerai et il ne reviendra jamais vers toi.

_ Si tu lui parles, je parlerai à ta femme. A toi de choisir ce qui compte le plus à tes yeux. Parle à E et tu ne reverras plus ton gosse tant que je te salirais dans toute la ville et au delà...Tout le monde aura connaissance de ton chantage, même le dernier des habitants des villages alentours sauront que tu as tenté d'abuser une nana en état de faiblesse. Ta décision t'appartient mais seulement réfléchie bien... N'oublie pas que je n'ai plus rien à perdre...

Le soir même, G me supprimait des réseaux sociaux.

Il m'avait donné l'illusion de ne pas être séparée de lui. Au fond de moi, je savais qu'il ne savait rien. Mais j'avais besoin de croire en quelque chose même en du sordide. En le rencontrant, je pensais faire des pas vers E alors qu'en fait, je m'en éloignais. Infidèle à moi-même et fidèle à une ombre, j'avais flirté avec mes limites et y avait découvert une moralité insoupçonnée.
Je recommençais à m'aimer.


Le lendemain, on me proposa du boulot que j'acceptais sans hésiter.


13 décembre 


J'ai retrouvé E2 à Paris depuis deux jours. Disons pour être exact, c'est moi qui suis allé le trouver.

Le temps nous a fait devenir de très bons amis. Peut être que notre camaraderie durera plus longtemps que notre couple...

Son fils me demande de lui lire une histoire pour s'endormir et moi je fond devant son visage d'ange.

Je le soupçonne de vouloir me faire plaisir. A onze ans,on lit tout seul. Qu'importe, je l'aime tellement !
Si le temps pouvait s'arrêter dans cette chambre, je ne dirais pas non...


14 décembre 


E m'a appelé. Nous remontons les Champs quand mon téléphone a sonné. J'ai cru mourir.

E2 a compris immédiatement de qui provenait l'appel et a grimpé dans un taxi me laissant seule à la hauteur de la Mie Câline. Son attitude me déstabilise. Il devrait être content pour moi au lieu d'agir comme un enfant.

 Qu'importe : E est au bout du fil.

Au début, il prétendu s'être trompé de numéro. La fierté sans doute. Il m'a parlé 6 minutes 54. Nous n'avions jamais autant parlé au téléphone. Il a toujours eu peur des ondes...

A un moment, je lui ai dis en sanglotant qu'il me manquait, que je ne pouvais pas vivre sans lui et que la vie ne me semblait pas digne d'être vécue s'il n'en faisait pas partie.

_ Énumère moi ce qui te manque le plus chez moi, m'avait-il alors répondu en riant aux éclats, zappant sciemment le reste de ma déclaration.

Je me suis alors exécutée.

Quand je lui ai retourné la question, il a préféré raccrocher.
Visiblement, je ne lui avais pas manqué et il ne s'en cachait pas.

Il n'avait pas évoqué la fille et moi non plus.
Nous options tous deux pour le déni. Moi pour éviter les conflits et lui, parce qu'il n'avait pas à se justifier à moi.

Il m'avait promis de me rappeler et moi, je sentais que cette histoire n'avait pas encore révélée la totalité de ses secrets. J'étais émue que ma douleur prenne fin mais une partie de moi la regrettait déjà. Elle avait été une bonne compagne durant ces mois si bien qu'elle m'avait donné un courage que je ne soupçonnais même pas.
La douleur est une rage. Sans colère, nous ne pouvons pas avancer. Parfois, on doit son Salut au plus contesté des pêché.



Le soir-même, je laissais Paris à E2. 
Il me fallait continuer ce que j'avais commencé. 

E2 fût attristé par mon départ mais je n'avais pas le choix. Mon amour me reparlait et prendre le risque qu'il ne se fâche à nouveau en apprenant mon escapade m'était insupportable.

Sans doute si E ne s'était pas manifesté, j'aurais eu la faiblesse de croire  qu'un avenir était à nouveau possible entre nous. J'aurais eu tort.

E2 représentait un passé révolu.
On ne refait pas sa vie en reproduisant les mêmes erreurs.

Il m'accompagna à la gare.
Notre intermède était, lui aussi, terminé .

A mon retour, j'ai trouvé dans ma boite aux lettres une lettre signée de sa main. Il me disait que ses sentiments pour moi s'étaient réveillés ces derniers mois. Il prétendait m'aimer encore et vouloir nous redonner une chance. Il évoqua son fils et quelques bons souvenirs.

Je ne lui ai jamais répondu.

Aujourd'hui, il vit avec une de ses étudiantes et nous nous parlons régulièrement.

E et moi avons repris notre histoire en janvier.




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Quelques mois plus tard, j'ai reçu une vidéo. 


Ma rivale m'envoyait un extrait d'une de leurs sorties avec son et filtres. Je n'étais donc pas la folle que je pensais être. Il y avait bien quelque chose entre eux. La façon dont ils se tenaient ne laissait nullement place au doute. Je m'étais trompée autant que j'étais trompée. 

Cette fille m'apportait la délivrance que j'attendais depuis tant de temps. Je n'aurais jamais cru que ce serait ma rivale qui pensant m'achever me sortirait de ma torpeur. Sans le vouloir, elle devint ma plus précieuse alliée.

Après cela, rien ne marcha plus comme avant avec E.
Quelque chose s'était cassé. 
Je le voyais tel qu'il était : un menteur mauvais joueur, incapable d'assumer le fait d'avoir été pris la main dans le sac. Pauvre diable. 


Avant l'été, G lui avoua à E nos sorties en omettant son chantage. Il prétendait que nous avions vécu une idylle remplie d'amour et d'eau fraîche. Les fantasmes ont la vie dure.

La colère de E fût sans précédent. Il me pensait infidèle et jura qu'il me ferait payer mon supposé coup de canif dans le contrat.

Après m'avoir persécuté pendant des semaines pour me pousser aux aveux,  il lèva à nouveau la main sur moi et quant à moi, pour la première fois, je la levais sur lui.  Nous nous sommes battus comme d'autres font l'amour. 
S'il y avait un infidèle, ce n'était pas moi et aucune pression ne saurait me faire avouer ce que je n'ai pas fait. Je tenais tête en dépit de ses bouderies et insinuations constantes. Les provocations étaient nombreuses mais la violence s'éteignait. Nous commencions à nous ranger.

Nous nous sommes quittés peu de temps après.

Évidemment, en partant je fis en sorte de ne pas être la seule à devoir repartir de zéro.

Je quittais la scène façon Sherlock Holmes : en précipitant les autres dans ma chute.

La femme de G fût informée et G quitté. Bien sûr, j'avais pris soin de donner vie aux désirs  de son mari, en parole tout au moins. Elle se crut trompée et le laissa tomber. 

J' appris plus tard que ma copine M donnait de mes nouvelles à E depuis notre séparation.
Depuis le début, elle avait tenté de me le voler sans que je ne m'en aperçoive y compris alors que mon grand-père venait de décéder. Des photos Facebook explicites ont finies par m'ouvrir les yeux. Plus cocue que moi, ça n'existait pas. A part peut-être Lady Di... quoique...Nous nous valons...

M, travaillant pour un de mes amis se retrouva à la porte le lendemain du jour où j'obtins la confirmation.
On raconte qu'elle vit aujourd'hui chez sa soeur dans un studio bordelais. On peut suivre ses sorties macdo sur son Snapchat. Je peux vous donner le nom si ça vous tente.


E pensait m'affaiblir davantage à travers cette periode de no contact pourtant sans le vouloir, il m'avait donné les armes qui me manquaient pour me libérer de lui.

Je sais aujourd'hui que c'était lui qui avait demandé à G de me contacter. 

La découverte d'un courriel sur son ordinateur m'a permis de comprendre que même loin de moi, il avait tiré les ficelles de ce scénario de seconde zone. Le hasard n'y était pour rien. 

E avait confié à G que je ne comptais pas à ses yeux, qu'il pouvait " y aller "et plusieurs mois après, il me battait pour une infidélité non consommée qu'il avait lui même engendré. Pour un peu, on en rigolerait.

J'avais vu son véritable visage celui qui se trouvait sous le masque.

Il était donc temps pour moi de reprendre ma vie où je l'avais laissée...

C'est donc du Martinez que je mets un terme à ma douleur avant de reprendre la route pour d'autres aventures.
Les plaies se sont refermées doucement mais sûrement. 

Comme quoi, il n'est jamais trop tard pour recommencer, pour repartir. 
Un avenir rempli de promesses se présentait à moi. Je ne le refuserais pas. 




Cannes,  7 septembre 2019
Remake de la Douleur.










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