La dernière maison close


                            

  La dernière maison close

   (48 heures en Grand Magasin)






  A Claudia,

                                                             



   Chapitre 1





" Je parle avec l'autorité de l'échec. " 

    Francis Scott Fitzgérald




Les contes de fées n'existent que dans les contes de fées. La réalité est plus décevante. Les Happy-End ne se produisent qu'une fois sur deux, les princes n'épousent pas les servantes et s'il y a du cyanure dans la pomme que l'on vous tend, il y a de grandes chances que vous y restiez.

La réalité, c'est le mendiant que vous croisez tous les matins, le même dont vous dédaignez la main tendue au quotidien, les koalas asphyxiés qui défilent sur votre fil d'actualité, les gosses du Tiers Monde qui se meurent dans l'indifférence générale parce que votre compassion ne dépasse pas les frontières.

La réalité, c'est que les contes de fées sont fait pour aider les enfants à s'endormir,  pour motiver les vieilles filles à sortir le week-end, et renflouer le compte en banque de  quelques cinéastes ricains en manque d'inspiration.

La réalité, c'est que je fume ma cigarette du matin devant les Galeries Lafayette de Marseille.
On m'attend depuis plus de vingt minutes. Longtemps, j'ai été flatté par la patience de ceux qui faisait le pied de grue pour moi. Puis, une fois, j'ai eu honte et ça m'a passé. J'ai acheté une montre. Au fond, il semblerait que l'on ne m'ait pas si mal élevé.



Il est temps de faire mon entrée. La même qu'il y a des lustres, à l'époque des partiels et des interros, des bics et des embrassades de couloir, ce moment où l'on ne gagne pas encore sa vie mais ses week-ends. Une étudiante en lettres de dix-huit ans déguisée en vendeuse déambulait alors dans les allées, souriant aux clients pour les pousser à consommer mais pas trop pour ne pas éveiller la jalousie des régulières. Une avant-vie somme toute banale.


Je porte un tailleur bleu marine à léger imprimé python, des escarpins à brides immaculés et un chemisier blanc cintré. De loin, on me prendrait facilement pour une banquière en goguette ou une assistante de direction en pause dej'. J'apprécie ce déguisement. La transparence a parfois du bon quand on est mégalo. C'est ce que l'on appelle prendre du repos.


Ils sont trois à m'accueillir pour ces quarante-huit heures d'observation. Officiellement, je viens puiser de l'inspiration pour mon prochain roman , ce qui est en partie vrai je l'avoue, mais surtout, je viens vérifier si ce que j'ai autrefois entraperçu est vrai, je viens dire bonjour à mon passé.

La responsable du marketing me présente ses dents blanches, le directeur adjoint me propose un café et la General Manager me tend la main.
A  mon époque, cette dernière n'avait pas encore été promue. Elle se contentait alors de diriger le rayon enfant.
Défigurée par le calendrier, ses traits autrefois durs et froids sont désormais quadrillés par des ridules si profondes que l'on semble prêt à s'y noyer. J'ai la nausée.
Le laid m'a toujours rebuté. C'est pourquoi je ne me lasse pas d'arpenter les allées du Musée d'Orsay et que je ne me balade rarement sans lunettes noires.


Je lui serre la main jusqu'à la lui arracher. L'armée de bagues que je porte n'arrange pas l'accolade. Madame la Manager souffre, c'est évident. Elle reprend son bien en grimaçant, oubliant que dans le temps, elle adorait pressait les mains des gamines en leur disant qu'avec une telle poigne elle ne serait jamais rien. Je m'en souviens très bien.


_ Nous sommes-nous déjà rencontré ? me demande t-elle, interloquée par ma poignée de main.

_ Probablement dans une vie antérieure...



La partie peut commencer ...




Deux journées d'amusement se présentent à moi grâce au badge que l'on m'a attribué. Mon bonheur ne pourrait être plus complet : je peux déambuler partout même dans les locaux réservés aux déchets. Cette perspective de tout (re)voir m'enchante. Dans les films, alors que commence l'automne de sa vie, le héros revient souvent visiter les lieux qui ont marqué sa jeunesse. Je me sens un peu comme ces personnages déclinants sans le savoir dont les yeux s'embuent par la force des souvenirs. Je me fais pitié.

Je suis censée être là pour les besoins de mon roman. Mon héroïne passe quelques chapitres dans un décor similaire et il me faut peaufiner certains détails,qui selon les premiers bêta-lecteurs, manqueraient à ces passages. Je sue la création. Pour cause de réalisme manquant, mon passé sonne à ma porte pour me rappeler mes défaites, par bêtise, je l'invite à entrer. Que ferions-nous pas par souci d'authenticité...

On me présente les vendeuses du rayon femme qui me saluent d'un signe de tête avant de retourner se parquer dans le stand qu'on leur a imposé. Toutes semblent porter le deuil d'elles-mêmes, de celles qu'elles auraient pu être mais qu'elles ne sont pas devenues, faute à une providence carencée ou un chemin de vie sinueux. Vêtues de noir, elles arpentent les allées d'un pas nonchalant, répondant de manière mécanique aux sollicitations des clients. Quand on s'adresse à elles, leurs visages jusqu'alors impassibles, s'animent à en oublier qu'il y a quelques secondes à peine, la décomposition s'apprêtait à commencer dans l'indifférence générale des spots occupés à mettre en valeur les produits.

Elles sourient de toutes leurs dents, flattant l'ego déficient de ceux qui s'achetent un moment de plaisir à bas prix, s'interchangeant au rythme des pauses en comptant les heures qui les séparent du prochain week-end. 

Le responsable des ressources humaines vient les sermonner. Une à deux fois par jour, il réitère sa tâche. D'un ton glacial, il vante le chiffre d'affaire des autres magasins de la chaine, culpabilisant les petites mains pour des échecs qui ne les concernent en rien avant de retourner somnoler dans son bureau.

Une fois le cerbère disparu, chacune reprend sa tâche sous le soleil artificiel qui les surveille. Il fait chaud, le chauffage est à son paroxysme. Les corps commencent doucement à luire en dépit du froid extérieur. Les pulls noirs se retirent un à un, rendant quelque humanité à ces poupées délaissées. Peu à peu, les silhouettes sombres perdent alors de leur noirceur originelle. La lividité de leurs bras plus ou moins fins contraste avec l'uniforme imposé et les cheveux dûment tirés. Il ne faudrait pas grand chose pour qu'elles recommencent à exister...




Chapitre 2




"Elle est pas malheureuse la petite vendeuse et de loin on dirait,
presque du bonheur quand l’antidépresseur fait enfin de l'effet."

Bénabar



      L'une d'entre elles attirent mon attention.
Elle s'appelle Elvane * et a deux ans de plus que l'âge que j'avais lorsque je foulais ce même parquet.


Elvane étiquette, range, passe le plumeau, déballe les colis, encaisse, commande des emballages, renseigne, se fait gronder si un prix est mal indiqué, engueuler par sa hiérarchie si le client décide de réfléchir, remballer si elle se trompe de taille.
Sur son contrat, il y a écrit "démonstratrice" mais en réalité, elle est tout et rien à la fois.

Comme elle me l'a confié plus tard, la jeune fille aimait faire du shopping avec ses copines avant de venir travailler dans ce lieu qui la faisait tant fantasmer. Découvrant que derrière chaque jouissance acheteuse se dissimulait une douleur méconnue, un anéantissement programmé, elle s'était résignée. Aider ses parents l'obligeait à rester jusqu'au moment où on lui préférerait une proie plus fraîche et moins désabusée.
Là, elle n'aurait d'autre choix que de quitter la scène et de proposer ses services ailleurs, dans une boutique ou une grande surface répondant, elles aussi, à leurs propres règles.


Je regarde Elvane ranger les cintres en désordre qui trônent sur l'alcôve qui lui sert de bureau.
En silence, elle s'exécute sous le regard pesant de sa voisine de stand, une trentenaire au carré plongeant qui, rictus en coin, ne perd aucun de ses faits et gestes.

Puis, la cliente intervint.

Telle une clubbeuse de camping, la trentenaire commence alors à se dandiner vers cette ombre d'ores et déjà dans sa ligne de mire.

Les vendeuses sur le qui-vive flairent leur cible, prêtent à se précipiter sur cette oisive encore inconsciente de ses attraits. Tout à coup, la vieille dame agrippe une veste de tailleur.  Sa perte est signée, elle est ferrée.
Toutes s'arment de sourire tout en jaugeant leurs collègues du coin de l'oeil.
Viendra le moment où l'une bondira la première et pourra alors se vanter devant son miroir d'avoir su le mieux captiver ce porte-feuille inconnu. Laquelle remportera la manche ?

D'une voix aiguë quasi stridente, la trentenaire interpelle la cliente qui ne se fait pas prier pour la suivre vers les cabines, à l'abri des regards indiscrets.
Remportant la mise par un subtil "Je peux vous aider", elle manqua de peu la vente avant de regagner son territoire, la mine grise, les yeux guettant le sol, vexée dans son amour propre. Son assurance si invasive quelques instants auparavant avait disparu. Elle avait cédé sa place à l’apitoiement et aux railleries tacites des collègues qui ne se privaient pas de ricaner éhontément. Elle avait échoué.


De son côté, Elvane continue à ranger les cintres.
Le spectacle qui est train de se jouer ,auquel elle devrait normalement participer ne trouve pas grâce à ses yeux, pire encore, il l'indiffère. Aussi préfère t-elle rester à l'arrière, en sécurité.

_ Pourquoi n'y es-tu pas allé, me hasardais-je en tripotant mon carnet.

_ Elles sont prioritaires. Je ne suis pas là depuis bien longtemps...

La jeune fille acceptait ce qui était sans chercher à remettre en cause les lois préalablement établies. Elle se résignait ne sachant pas que cette acceptation lui serait bientôt reprochée, quand on s'apercevrait qu'elle ne rapporte pas assez. La maturité d'Elvane mêlée à son petit caractère causerait prochainement sa perte. Elle se suicidait professionnellement. Le faisait-elle pour échapper aux règles du demi-monde ou subissait-elle les affres de prédatrices davantage expérimentées? Le mystère demeurait entier.

La hargne des régulières, ces ombres qui depuis des décennies hantent le même parquet face à la candeur des nouvelles, celles dont l'innocence n'a pas encore été enrayée par la déception d'une vie brimée par les chiffres et le paraître se rencontre à chaque étage. Les tenancières ne cèdent pas leur espace. Elles font semblant de croire encore en leurs charmes alors qu'elles savent très bien que toutes les heures jouent contre elles. Aigries par une pression trop longtemps supportée, rendues blafardes par la frustration quotidienne de vendre ce qu'elles ne pourront jamais s'offrir, elles optent finalement pour le déni, s'en prenant aux saisonnières pour ne pas retourner leur violence contre elles-mêmes. Il en va de même pour les responsables de secteurs, ces marionnettes sous-payées qui dissimulent leur incompétence incurable derrière un attrait tout particulier pour le harcèlement moral et la violence psychologique.


Pour s'intégrer, une nouvelle doit respecter certaines règles  : Laisser les clients aux anciennes,  et surtout, se la fermer. 


J'ai alors laissé Elvane à ses cintres pour me rendre à l'étage réservés aux hommes.

Les vendeurs mâles, essentiellement gays et fiers de l'être, y sont concentrés.
Loin des manigances vaginales et des guérillas stériles, tout semble bucolique, des costards hors de prix aux baskets branchées, l'atmosphère est plus légère, je me s'y sens quasiment à mon aise.

Le préposé aux chemises me demande si je connais Marc Levy. Il a lu le début de son dernier roman l'été précédent et a beaucoup apprécié son style. Habituée à ce genre de conversation, je réponds par une pirouette :

_ On ne connait jamais vraiment les gens parce qu'on ne se connait même pas soi-même... Alors si je connais Marc Levy, je ne crois pas mais si je l'ai déjà côtoyé, oui ça m'est arrivé, en effet...

_ T'as dis quoi ?

_ Rien, laissez tomber.

Dans ce contexte là, ça passe. On en rigolerait presque. Mais je vous avoue que dans un contexte de premier rendez-vous, c'est à pleurer. Voilà comment on finit par ne plus tuer ses instincts de snobisme en ne fréquentant que des artistes.

Joris, le vendeur polyvalent vient à ma rescousse. Il me propose de l'observer jusqu'à sa pause. Evidemment, je ne me fais pas prier pour accepter avant de gagner, un peu plus tard, le niveau des accessoires.



°




" Un sot est un imbécile dont on voit l'orgueil à travers les trous de son intelligence. "

Victor Hugo





      Rayon maroquinerie, je flâne, calepin en main. Une cliente me repère. Agacée de ne pas trouver le montant de son coup de cœur en daim noir , elle me rappelle à l'ordre. Le prix manque sur l'étiquette. Gênée, je lui explique que je ne travaille pas ici mais que je peux l'aider à trouver un interlocuteur qualifié pour satisfaire sa requête. La dame souffle. Elle n'a pas le temps d'attendre et exige de moi une réponse rapide. Reformuler ne sert à rien. Elle veut connaitre le montant du sac et qu'importe que je ne sois pas habilitée à le lui donner.
Agacée par ma prétendue incompétence, elle me poursuit dans l'allée principale. Ma patience mise à rude épreuve, je finis par esquiver d'une pirouette :

_ Laissez tomber, ce sac est trop cher pour vous.

C'est alors que la responsable de l'étage suivie de près par la General Manager entrent en scène.

La dame est scandalisée par ma réponse et exige mon renvoi immédiat.
Je ris intérieurement tout en singeant l'affliction. En voulant venger mes souvenirs du mépris passé, j'assassine ma crédibilité actuelle mais je n'en ai que faire, je m'amuse bien.

_ Madame ne travaille pas ici, se justifie pour moi la responsable de la maroquinerie, excusez sa maladresse, elle n'a pas l'habitude du commerce et manque visiblement de relationnel.

_ Mademoiselle, ne puis-je m'empêcher de corriger.

_ Mademoiselle vous présente ses excuses n'est ce pas ? intervient la General Manager.

Dans son regard, je comprends alors qu'elle se rappelle parfaitement de moi. Elle me lit comme dans un livre ouvert. Je ressens son jugement comme un coup de poignard. Elle sait mais elle préfère garder ses cartes.
La taulière ne peut que conserver intact le souvenir de ses filles, présentes et passées, de celles qui ont fait sa fierté de celles qu'elle a dû répudier.

Nouvelle pirouette :

_ J'espère que vous trouverez le prix de votre sac, Madame.


Les femmes du monde qui viennent dépenser l'argent de leurs maris représentent la pire espèce d'acheteuses, elles se croient tout permis. Dédaigneuses, elles se payent le luxe de s'offrir la même robe que leur voisine pour oublier qu'elles sont cocues, comme le prouve leur constante facilité à garer leur Audi dans toutes les rues de la ville.

Juste après elles, viennent les faux riches. Cette sous-espèce qui vient dépenser les économies soigneusement économisées et qui finit à découvert le soir-même. Les faux riches veulent prouver aux autres et surtout à eux-mêmes qu'ils n'ont pas totalement ratés leurs vies puisqu'ils font marcher le commerce. On les identifie à leur façon de payer en dix fois sans frais et à leur portefeuille supposément griffé qui n'est autre qu'une contrefaçon grossière qu'on leur a gentiment ramené de Thaïlande. Pour les fêtes, ils adorent ramener du chocolats aux vendeurs, caissiers et autres profils faciles à écraser. En tendant la boite, un regard armé de pitié vient généralement s'ajouter à ce vaudeville des plus grossiers.

Dans les grands magasins, les pauvres jouent aux riches tandis que les faux-riches piétinent les pauvres. 

Pour m'extirper de cette mauvaise passe, je m'en vais prendre l'air avant d'allumer une cigarette. Un jeune vigile assigné à l'entrée m'en quémande une avant de me retendre mon précieux présent.

_ Je ne fume pas les cigarettes de putains, désolé, me ricana t-il au visage avant de regagner son poste.

Il a fait ma journée. Je préfère rentrer.






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Chapitre 3




" Demain est votre récompense pour avoir survécu à aujourd'hui."

Auteur inconnu.



        Le lendemain, mon taxi me dépose à quelques mètres des Galeries Lafayette.
J'ai déjà le trac, mes mains tremblent un peu. Comme je n'ai pas pris le temps de me maquiller, je me  poudre maladroitement le visage comme une adolescente prise en flagrant délit de coquetterie par des parents sévères. Dans le rétroviseur, le chauffeur s'en amuse ouvertement. Il semble persuadé que je vais rejoindre mon amant et me rassure quant à mes attraits.

Je lui réponds que pour qu'un rendez-vous galant ait lieu avant midi, il n'y a que deux hypothèses : l'un des deux est soit marié soit insomniaque et que pour le moment, ce genre de déviance ne fait pas frissonner mon bas-ventre.

Ce débat d'idées terminé, je rejoins mon poste d'observation.

Aujourd'hui, je porte une robe de cocktail noire et des escarpins argentés.
De loin, on pourrait penser que je suis une adepte du "walk of shame"  qui rentre tranquillement chez elle après une folle nuit ou encore une influenceuse qui attend que sa pote l'immortalise.
De près, j'imagine que je fais seulement inadaptée, une grognasse comme il y en a des dizaines, cherchant les compliments comme d'autres envoient des textos. Si des féministes défendant le harcèlement de rue me voyaient, j'imagine qu'elles me lapideraient sans que j'ai le temps de m'en rendre compte.


Dans les vestiaires, les filles sont gaies, exaltées à l'opposé de l'image qu'elles arborent sur le terrain. Les plus jolies se promènent en sous-vêtements de casiers en casiers, tous les prétextes sont bons pour s'exhiber davantage, faire analyser un grain de beauté supposément suspect à la camarade grassouillette, demander si ce nouveau soutien gorge met en valeur leurs poitrines. Ce déballage de chair n'est pas sans déplaire aux vigiles dont la salle de repos mitoyenne offre un point de vue privilégié sur ce strip-tease gratuit.

Les unes, satisfaites d'elles-mêmes, paradent avec une hardiesse que l'on ne rencontre généralement que tard le soir, dans l'obscurité des clubs libertins, les autres singent de ne pas prêter cas à ces provocations stériles et optent pour regagner leurs postes le plus rapidement possible. Les quelques survivantes qui restent se lancent alors dans des discussions de couloirs. On évoque le nombre de verres commandés la veille dans les bars et la gueule de bois, synonyme de victoire qui en résulte, on décortique la story de la copine en RTT et on se plaint des maris qui ont tous pour point commun de ne servir à rien d'autre qu'à payer la moitié du loyer.

J'ai toujours admiré les gens qui se défoncent sans pudeur et sans censure, qui se complaisent à raconter leurs frasques de la veille comme s'ils évoquaient le dernier film vu en salles.
Ils sont plus courageux que je ne le suis. Me mettre minable en public et m'en vanter le lendemain à qui veut m'écouter a toujours été au dessus de mes forces.
J'imagine que même si on me torturait une journée entière, je n'y parviendrais pas. Mon statut d'enfant-roi m'a toujours préservé, il fut ma bonne fée. Et puis, ma petite nature ne m'a jamais permis de me lancer dans ce genre d'excès. N'est pas Amy Winehouse qui veut.


Une fois rhabillées, j'entrepris de les questionner sur leurs parcours, leurs ambitions, leurs ressentis, tout ce qu'on demande aux gens pour mieux les cerner mais qui souvent n'engendrent que des réponses toutes faites, remplis de stéréotypes et d'idées préconçues.

Je fus étonnée de constater combien ces femmes rêvaient leurs vies au lieu de la vivre, préférant se complaire dans un idéal abstrait que se confronter à la monotonie de la réalité. Elles fuyaient sans s'en aller, accordant aux têtes pensantes leurs présences physiques mais refusant de donner accès à leurs esprits souillés par les remontrances quotidiennes. Comme dissimulant un secret de polichinelle, elles donnaient le change en prétendant aimer le job qu'elles exerçaient jusqu'à ce qu'elles finissent par se convaincre elles-mêmes de ces mensonges disséminés au fil du temps. Là, sombrant dans la mélancolie, brimées par tant de frustrations accumulées, elles se surprenaient alors à rendre le mal par le mal en malmenant les petites nouvelles, par crainte de se retrouver sur le carreau mais surtout pour que personne autour d'elles ne puissent trouver ce bonheur qu'elles n'avaient jamais rencontré.

Les unes se rêvaient comédiennes, chanteuses, humoristes, candidates de télé-réalité, gagnantes de talk-show, les autres n'aspiraient qu'à tout arrêter pour fonder une famille, avoir une villa et un chien à sortir trois fois par jour. Certaines se la jouaient Julia Roberts dans "Pretty woman" en évoquant le mari riche qui ferait d'elles l'épouse entretenue qu'elles méritaient de devenir. Toutes ne se voyaient pas vendre leurs sourires éternellement tout en ne déployant pas l'énergie nécessaire pour dire adieu à leur métier. En visant trop haut, elles se refusaient à viser juste.
Pas une seule ne me parla d'études à reprendre, ni de formation à tenter. Celles qui étaient encore à l'université négligeaient visiblement leurs cours pour quémander les heures sup' qui payeraient leurs beuveries.

Sans le savoir, en voulant échapper à leur condition par le fantasme, elles s'y engluaient.

Victime d'une France agonisante, en grandissant devant Loft Story et émules, ces femmes se creusaient elles-mêmes leurs tombes avant d'avoir même exprimer l'idée de vivre pour elles une existence sur mesure auprès d'êtres réels et imparfaits, loin du prince charmant milliardaire et des paillettes éphémères. La société ne leur avait rien donné. L'espoir de connaitre le bonheur s'amenuisait de manifestations en réformes sociales. Les élections prochaines n'arrangeraient rien. Elles le savaient et s'y étaient résignées. Et quand une voix extérieure commettait l'ultime affront de vouloir les comprendre, elles retombaient en enfance, évoquant des talents cachés et des aspirations grandioses de succès et de reconnaissance.

Régresser pour oublier, se mentir pour survivre, tel est le sort des esclaves modernes à temps complet.


C'est alors qu'une nouvelle se présente au pointeau. De ce que j'entends, elle vient de terminer son contrat dans une boutique du centre-ville et considère le fait d'intégrer cette enseigne comme une promotion sociale, une chance extraordinaire. Un vigile lui demande son prénom qu'elle donne sans rechigner. Cette novice ne le sait pas encore mais elle vient de pénétrer dans la fosse aux serpents. La personne qui lui montre où se trouve son casier l'informe que le noir est obligatoire. Pour lui sauver la mise, elle lui tend son blouson noir en plastique.

_ Ferme-le jusqu'en haut et surtout ne me l’abîme pas.

La nouvelle acquiesce avant de la suivre dans les coursives. Un jour pensera-t-elle surement  à ce moment en se disant que le prêt de cette veste fut le seul geste d'humanité reçu en ces lieux.

Le premier jour, chaque nouvelle recrue s'étonne qu'on lui demande de quitter ses vêtements de tous les jours pour endosser l'uniforme moribond censé mettre à l'aise les clients et les pousser à consommer.

Quand vous devenez vendeuse dans un grand magasin, on vous retire les couleurs de vos habits. 
Est-ce un signe prophétique pour vous annoncer que votre vue ne se s'enchantera plus au contact d'un arc en ciel ? Ou est-ce une manière déguisée de vous annoncer que vous vous apprêtez à entamer le deuil inévitable de vos illusions et de vos rêves ? Ou plutôt un moyen de vous rappeler que vous n'êtes personne d'autre qu'une chose interchangeable dont la seule fonction est d'engraisser les comptes suisses des plus hauts gradés ?

Si on lui ordonne de rejoindre le secteur homme, elle devra s'armer de courage pour mettre en avant continuellement les quelques atouts que la nature lui aura octroyé.
Charmer, complimenter sous peine de se faire réprimander, faire un maximum d'adhésion au programme  fidélité à coup de minauderies rondement menées sont les maîtres mots au rayon des costumes et des boxers.
Les clients les plus candides penseront avoir un ticket sans se douter qu'on oubliera jusqu'à leur venue une fois le duplicata remis. Les quelques vendeurs homos feront de bons compagnons de route. Elle sourira souvent et ne mangera pas souvent seule. Puis le jour viendra où un supérieur voyant d'un mauvais œil ce qui pourrait ressembler à un semblant d'harmonie l'affectera ailleurs sans plus tarder.

Que de calomnies la guetteront si le niveau de la femme devient le théâtre de ses journées. Les crasses entre collègues lui feront oublier jusqu'à la raison pour laquelle elle a signé ce foutu contrat aujourd'hui. On épluchera chacun de ses faits et gestes allant jusqu'à mimer une sympathie de façade pour mieux l'assassiner de ses faiblesses. On lui volera les quelques clients qui auraient pu lui offrir la commission tant désirée et on pointera du doigt sa prétendue incompétence. Si par malheur, elle parvient à réaliser des ventes, on vandalisera son casier et quand elle s'en plaindra à cette hiérarchie formée pour motiver ses troupes, on lui rétorquera qu'elle fabule et qu'elle ferait mieux de démissionner tant l'aigreur et la paranoïa la rendre indigne d'exercer cet emploi. Est-il utile de préciser qu'il n'y a que des gens biens qui travaillent aux Galeries ?

Si elle est affectée au rayon enfant, on lui retirera toute féminité allant jusqu'à exiger que ses cheveux soient coupés et lui proscrire tout maquillage, y compris le baume pour ses pauvres lèvres gercées.
Les talons mêmes bottiers y sont interdits comme les décolletés et les collants même opaques. Selon la responsable du secteur, arborer un quelconque signe de féminité reviendrait à provoquer les pères et cet étage doit rester un lieu de promenade pour les familles. On veut de la neutralité, de la transparence et des égards pour les gamins. On veut que vous vous fondiez dans les portants jusqu'à devenir aussi morne que le mannequin qui toise toute l'allée de sa mine spectrale. On veut que les pères  puissent habiller leurs gosses sans prendre le moindre risque de souiller leurs yeux sur la malheureuse qui s'efforce de ramener les bonnes tailles.

Voilà pourquoi je suis partie quand j'avais dix-huit ans. On me reprochait de troubler le confort des clients, d'empêcher les mères de se faire accompagner par leurs maris tant je représentais une "incitation à la débauche", une provocation constante.  J'ai démissionné le premier jour des soldes, en milieu de journée.

Ce jour-là, j'étais venu travailler en  jogging pour éviter les remarques, ultime affront pour la tenancière. Je me suis alors promis de revenir un jour dans ses mêmes couloirs le mieux vêtue du monde.

En partant, j'écrivais dans la lettre de démission adressée à celle qui est désormais Madame la General Manager que je ne lui en voulais pas à elle personnellement mais au système, que faute de me rendre à l'inspection du travail, je me contenterai d'être heureuse et de dépenser dans toutes les Galeries de France.

Trois ans plus tard, je recevais un courrier par la poste. J'y apprenais que j'avais suffisamment dépensé pour devenir ce que le programme de fidélité appelle un client d'exception. Bel aumône.
Jusqu'à cette année, j'ai reçu tous les ans une bouteille de Ruinart pour le nouvel an. Sans compter les invitations aux défilés de la Fashion-Week et autres privilèges de pacotilles dont on me congratulait pour me féliciter d'avoir gaspillé mes économies. Ne voulant rien conserver de cette époque-là, j'ai offert les bouteilles aux membres honoraires ou permanents de mon existence. Les défilés furent sans moi. L'amertume s'estompa. Peu à peu, je me surpris à oublier et à ne plus rien ressentir pour ce triste univers. La vie avait repris ses droits. Sans m'en rendre compte, j'étais devenue adulte.




°



" Je pense que tu sais aussi bien que moi quel est le problème..."

2001, l'odyssée de l'espace.



Elvane est en retard. Sa bise spontanée et amicale me surprend sans commune mesure. Je ne suis pas habituée à l'effusion encore moins à l'effusion des inconnus, mais son geste me touche profondément. Je l'aime bien cette fille, sa gaucherie et sa timidité me plaisent. Même en ne faisant pas grand chose, elle me conquit de toute sa présence. Je lui demande comment elle va, si sa soirée a été bonne, ce genre de banalités que l'on dit pour meubler le silence des conversations  mourantes. Pour un peu, on nous prendrait pour de vieilles amies tant nous n'avons plus rien à nous dire mais que nous nous évertuons à partager le même espace.

De sa voix fluette, elle me parle de son frère qui a les jambes brisées depuis son accident de scooter, de l'angoisse de sa mère devant l'impuissance des médecins à poser un diagnostic clair, de son bus manqué parce que la table de la cuisine avait besoin d'être nettoyée, de toutes ces choses dépourvues de sens pour ceux qui érigent l'amour de soi devant l'amour tout court.


_ Vous êtes en retard.

La General Manager se tient dans notre dos, nous toisant de toute sa carcasse sombre. Elvane se précipite déjà dans le couloir, rejoignant son poste au galop comme si l'avenir de toute cette imposante structure dépendait de son unique présence.


_ J'ignorais que nous organisions un bal dans nos locaux Mademoiselle. Pourriez-vous m'indiquer à quel étage se déroule t-il? me lança t-elle fixant ma tenue, sourire en coin. J'ai toujours aimé danser.

_ Près des locaux à poubelles, à droite en sortant de l'ascenseur, vous savez, entre les cartons qui servent de paravent aux coucheries vigiles/ vendeuses et la coursive où l'on prend sa farine.

_ Vous cherchez quoi au juste?

_ Du réalisme pour le chapitre 4 de mon roman, lui répondis-je. Que pourrais-je chercher d'autre ici?

_ Vous n'avez pas changé, finit-elle par lâcher en s'asseyant sur le banc en bois qui nous guettait de tout son long, vous ne comprenez toujours pas que j'obéis moi-même à des consignes qui m'écrasent un peu plus d'années en années. Vos idées reçues vous aveuglent. Pourtant si vous regardiez bien, vous pourriez voir que je ne fais qu'appliquer les règles qu'on m'a autrefois imposées.
Savez-vous que j'ai commencé tout en bas, à vendre des stylos qui représentait la somme que je touchais à la fin du mois ? Je les ai tellement détesté ces commerciaux minables qui m'ennuyaient avec la finesse de leurs plumes... Avez-vous seulement conscience du nombre de personne que j'ai dû écraser pour avoir l infime privilège d'asseoir mes varices sur une chaise? Trente ans sur mes jambes sans avoir le droit de me poser même une minute, pensez-vous réellement que ce n'est pas assez ? Vous demandez-vous seulement combien de soirs je suis rentré chez moi les yeux embués par la fatigue et la frustration de ne pas avoir eu cette vie dont je rêvais quand j'étais gosse ? Vous pensez tout savoir parce qu'à un moment de votre vie, vous avez fait ce pourquoi vous étiez payé alors que vous ignorez tout des tourments qui furent et sont toujours les miens. Je n'ai fais que vous traitez comme la vendeuse que vous étiez et ça votre orgueil ne s'en remettra jamais. Dans votre lettre, vous prétendiez comprendre alors que vous n'avez jamais rien compris et que vous ne comprendrez jamais. A mon niveau, certains sacrifices sont nécessaires.

_ Pendant tout ce temps que j'ai passé ici, vous n'avez eu de cesse de me reprocher ce que j'étais. Traitez une jeune fille comme une femme, la répudier aux tâches les plus ingrates, mettre constamment en doute son intégrité, n'est-ce-pas làun crime? Mais vous n'en avez sûrement pas conscience puisque vous reproduisez vos manigances macabres de générations en générations.Vous vous plaignez de votre sort mais ne pensez-vous donc jamais que vos actions puissent avoir des conséquences ? Que dépouiller des jeunes filles de leur innocence n'est en rien punissable devant la justice mais que ça peut l'être lors d'un dernier jugement... Vous niez vos responsabilités pour pouvoir continuer à dormir la nuit mais un soir, les remords se coucheront à vos côtés et quand ce moment viendra, je ne doute pas que vous penserez à moi.


_ Vous vous en êtes sortie, répliqua t-elle, vous avez été la seule que j'ai connu qui se soit autant rebellée alors de quoi vous plaignez-vous ? Pas deux fois durant ma carrière, quelqu'un n'a quitté son poste comme vous l'avez fait... Si vous voulez vraiment savoir, vous avez marqué l'histoire des Galeries. Vous êtes contente ? Votre orgueil vous a empêché de marcher dans mes pas. Vous êtes sauvée. A moins que ce ne soit qu'un mirage...A en voir la manière dont vous vous êtes affublée pour me tenir tête, il semblerait que vous ne soyez pas encore totalement sereine...vous voilà à revenir sur les lieux de votre jeunesse, embourgeoisée et vengeresse, habillée comme si vous alliez à l'Elysée, vous ne changerez donc jamais. Vous voulez avoir le dernier mot et bien, je le vous le cède. Vous avez gagné.


_ A vous écouter, le harcèlement moral fait partie des règles de management. Jamais vous ne vous remettez en cause. Ce serait trop vous en demander. Vous vous cachez derrière des excuses préfabriquées pour justifier ce comportement abject que vous n'assumez nullement. Vous n'en avez que faire des dégâts que vous causez, ils vous sont totalement étrangers. Vous prétendez vouloir le bien de vos filles alors qu'en fait vous les enfermez puis vous les annihilez jusqu'à leur retirer toute personnalité et quand elles sont trop fatiguées, vous vous en débarrassez. Vous leur inculquez l'envie, la calomnie, les coups-bas et la duplicité, vous les formez à votre image. Vous les détériorez jusqu'au renvoi et puis vous recommencez encore et encore...vous leur faites payer vos échecs. Je ne vous apprends rien, tout ce que je vous dis, vous le savez déjà très bien...
Vous vous cantonnez à ce demi monde sur lequel vous régnez en maître parce que vous avez pleinement conscience qu'à l'extérieur de cette bâtisse, votre pouvoir n'existe plus, vous vous noyez dans la foule, vous disparaissez comme neige au soleil. Vos limites vous rebutent, vous êtes humaine.Un jour, vous rencontrerez plus fort que vous et tout jusqu'à votre souvenir disparaîtra de ces rayonnages que vous arpentez tous les jours... Quand cette heure viendra, j'aurais de la peine pour vous parce que je sais intimement que je vous dois tout et une fois encore, vous penserez à moi.
Si je suis revenue, ce n'est pas pour vous blâmer même si je vous le concède, je m'en sens grandement soulagée mais plutôt pour vous remercier. Sans le vouloir, en dépit de votre volonté, vous m'avez fait plus de bien que beaucoup de mes amis les plus chers, vous m'avez confronté à cette réalité que jusqu'alors je me contentais d'ignorer. Non, la vie n'est pas un conte de fées, je le sais désormais et ce,grâce à vous, j'ai appris qu'il ne faut pas tout accepter au risque de perdre tout semblant d'identité. Je ne vous remercierai jamais assez.
Puisque nous y sommes, vous saluerez de ma part la responsable du marketing et le directeur adjoint pour leur accueil. Pour ma part, vous vous en doutez surement, je vais en rester là...

_ Je n'en attendais pas moins de vous...Bonne chance quand même...Mademoiselle...




Epilogue




        Je n'avais plus rien à tirer de cet endroit. Les chapitres étaient déjà bouclés. La seule chose qu'il me restait à faire, c'était de m'en aller, comme avant, au beau milieu de la journée, sans un adieu à ceux que j'avais rencontré. Les dès avaient été jetés il y a trop de temps pour pouvoir changer la donne. C'était perdu d'avance.
On ne peut rien face au système. Que l'on soit en haut ou en bas, les obstacles sont les mêmes. Seule la paye diffère.

Je sais maintenant que ce genre de passage est inévitable pour pouvoir aller de l'avant. Il faut parfois prendre le temps de revenir en arrière pour mieux pouvoir reprendre le cours de sa vie. En laissant les événements inachevés, on court le risque de partir sans avoir dit tout ce que l'on avait sur le coeur et c'est à ce moment précis que nous entrons dans la frustration et le ressentiment, tout ce qui nous empêche d'atteindre le bonheur.

Avec du recul, je ne regrette pas ce moment de ma vie. Au contraire, j'ai appris à en tirer le meilleur. Au cours de ma carrière professionnelle, j'ai rencontré des injustices mille fois plus graves que ce manque de synchronicité en terme de dress-code.

Il m'est arrivé de quitté de beaux postes parce que je ne me sentais pas en accord avec la hiérarchie du journal ou du magazine dans lequel j'exerçais. Je ne vous dis pas que je n'ai jamais regretté mes décisions, que certaines fins de mois ne furent pas compliquées mais je m'en suis toujours sortie parce qu'une petite voix au fond de moi ne cessait pas de m'encourager à suivre mes principes moraux et à avoir pleinement confiance en ma valeur.

Pour l'heure, je me contentais de tourner les talons.
Tout ce que je ressentais pour ce lieu s'était épuisé.
 Au moment où je m'apprêtais à passer l'entrée principale, à regagner ce réel qui n'avait de cesse de me rappeler à lui, j'entendis une voix familière dans mon dos. Le jeune vigile, toujours au garde à vous devant la porte, me lança un sourire en coin avant de m'adresser un clin d’œil.
A trop jouer les durs, il s'était ,lui aussi, crée sa propre réalité. Nous étions du même acabit lui et moi. Moi à vouloir vainement venger le passé, lui à vouloir paraître plus fort qu'il ne l'était, nous n'avions aucune idée de c'était l'instant présent mais nous nous conservions intact notre capacité à en rire.

_ Tu pars déjà ? me demanda alors Elvane qui se précipitait à ma rencontre.

_ Comme tu le vois.

_ Je peux te laisser mon numéro ? J'ai écris quelques chansons en l'honneur de mon frère, j'aimerais te les montrer. Je comprendrais que tu refuses...

_ Je prendrais ton numéro avec grand plaisir.

La jeune fille me tendit un morceau de papier où les chiffres étaient maladroitement annotés. Sans le vouloir, je fus prise d'un long fou rire. Il fut un temps pas si lointain où je faisais pareil moi aussi. distribuant gauchement mes bouts de papiers dans l'espoir qu'on ressente le désir de me revoir.

Un jour, Elvane partira en grandes pompes elle aussi, c'est certain. En attendant, je peux m'en aller, le cœur léger. La relève est assurée.







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* Certains prénoms ont été modifiés.


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