MOOD : Vivre pour vivre.


Pour qu'une histoire d'amour à jamais ne dure, encore faut-il que jamais elle ne commence...



Puis vint le réveil. Une odeur de tabac froid se répandait dans chacun des recoins de la chambre mal éclairée. Je portais les mêmes vêtements qu'il y a trois jours lorsque j'ai avalé cette dose écrasante de somnifères. Depuis, trou noir. Des voix se dégageaient de la pièce voisine. Je reconnus la sienne : il était là.

D'un pas incertain, je m'approchais du miroir qui dominait la commode. Me passant un coup de brosse sur mes cheveux en bataille, j'aperçus mon reflet. Déglingués, assomés, mes traits se fondaient à mon visage me donnant une allure spectrale. Mais je n'avais pas le choix, je devais passer cette encolure : il était là.

A peine sortie de la pièce, mes yeux se sont arrêtés sur lui. Il était assis près de la fenêtre. Un rayon de soleil éclairait sa chevelure poivre et sel. Il souriait.

_ Regarde qui se réveille, dit Robert d'un ton détaché. Tu devrais penser à te changer. Tu ne ressembles à rien.

_Moi, je la trouve très belle, intervint Amias toujours éclairé par le soleil.

_Arrête de complimenter ma femme. Tu vas lui mettre de mauvaises idées en tête et elle va continuer à se laisser aller. Tu devrais aller te doucher...me lance t-il avant de détourner le regard.
Ou en étions-nous déjà ?

Amias me regarda fixement. Baissant les yeux, je revoyais peu à peu défiler devant moi les dernières vacances passées dans sa maison de Ramatuelle au temps où nous nous voyions encore tous les jours. Nos longues discussions autour de la piscine. Le poker dont il m'avait appris les règles. Son parfum indélébile. Ses fossettes.  Lui buvant son café et moi qui le regardait...

Puis vint le malaise, les meubles qui dansent dans tous les sens, la nausée  et finalement, le trou noir.

J'ouvris les yeux. Robert se tenait au pied du lit comme s'il veillait une mourante. Il continuait néanmoins à pianoter sur son téléphone. Son recueillement avait ses limites.
Moi, je ne voyais qu'Amias. Il me surveillait du fond de la pièce. Quand ses yeux noirs croisèrent les miens, je sentis mon corps trembler jusqu'à chacune de ses extrémités. Il était là.

_ Ah, la revoilà parmi nous, s'écria Robert sans lâcher son téléphone. Il était temps. J'allais presque appeler les pompiers. J'ai bien dit presque...

Il lâcha un petit rire strident qui n'amusa que lui.

_ Je vais faire un tour maintenant que tu as décidé d'arrêter de jouer à la moribonde.

_ Robert arrête, ne puis-je m'empêcher de souffler tant son indifférence me mettait hors de moi. Fous moi la paix.

_ Mon amour, faut vraiment que tu comprennes qu'un enfant ça se refait. Il n' y a pas de quoi se mettre dans ses états. Il y en aura d'autres.
Alors lève toi et par pitié, change toi et sourit un peu. Tu es à faire peur.

_ Ne parle pas de ma fille comme ça... Ne me parle pas du tout. Va retrouver une de tes nanas  mais par pitié, laisse moi.

_ C'est qu'elle est susceptible ! Regarde Amias, je lui paie ses ongles et son shopping et encore ça ose lever la voix. On marche sur la tête ! C'est moi qui décide ici.

Il approcha sa tête près de la mienne. Je sens encore aujourd'hui son souffle sur mon visage. Et il murmura à mon unique intention :

_Si tu n'étais pas qu'un squelette, je te foutrais à la porte pour oser me répondre comme tu le fais. N'oublie pas que sans moi, tu n' es rien ni personne.

Je sentis les larmes couler sur mon visage et leur sel mouiller mes lèvres. Je voulais qu'il parte loin, qu'ils partent loin tous les deux pour que je puisse avaler quelques cachets et m'en aller à jamais. Tout m'était insupportable. Mon deuil, sa présence, ses femmes autour de lui et cette attirance lancinante que je ressentais pour Amias qui allait contre mes principes.

_Je pars demain à Ramatuelle. Je dois mettre en vente la maison. Laisse-moi l'emmener. Elle pourra reprendre des forces, proposa Amias en prenant Robert par le bras dans l'encontre de la pièce.


Amias. Il venait de me redonner espoir en seulement quelques mots.Robert, lui, à peine avait-il entendu la requête de son ami, que sa physionomie toute entière changea tout à coup.
La noirceur de ses yeux semblait pouvoir tuer quiconque croiserait son regard puis il se reprit.

_ Tu nous rejoindras vendredi soir. Comme ça, vous repartirez ensemble dimanche soir, ajouta Amias.

_ Impossible. J'ai quatre rendez-vous ce week-end. Pas tout le monde peut glander à l'année. Mais emmène là. Si ce genre de compagnie te plait, ne te prive pas.

Il allait m'emmener loin d'ici.

_ Très bien, je la ramènerai lundi matin. Je pars à Londres dans l'après-midi.

_ Voilà qui me fera des vacances, ajouta Robert en allumant un cigare. Je continue à te dire que ce n'est pas un cadeau mais si ça t'amuse, pourquoi pas. Tu as toujours été trop gentil et ça te perdra sûrement...

J'allais donc partir loin de Robert. Perdue dans des pensées noirâtres et un spleen atroce, cette seule perspective de prendre de la distance avec cette vie faite de violences et tromperies me faisait le plus grand bien. Passer ces quelques jours en tête à tête avec lui, encore bien davantage.


Ce week-end là, à quelques minutes de Saint Tropez, je passais les heures les plus heureuses de toute ma vie. Partout où nous allions, Amias me tenait la main, comme s'il craignait de me perdre. Il se montrait  galant, prévenant, attentionné. L'inverse de Robert. Le soleil semblait nous accompagner  dans chacun de nos pas, comme s'il brillait pour nous.

Il parla de ses affaires, des entreprises que son père lui avait léguées et qui connaissaient quelques difficultés, puis il évoqua son Londres natal, l'Angleterre de son enfance, sa belle Angleterre avec son ciel gris et sa Tamise. Je l'écoutais comme on écoute une mélodie enchanteresse. Je voyageais  par procuration.
J'étais fascinée par ses voyages, ses lectures et sa grande culture. Il savait tant de choses. Il savait tout. Je me sentais chanceuse d'être près de cet homme si brillant et si charmant à la fois.

J'avais vingt ans, il en avait quarante-cinq mais à ce moment-là, nous étions des fourmis sans âge sur une planète qui n'était plus la nôtre. Nous étions comme seuls au monde.

Un soir, alors que nous dinions dans un somptueux restaurant aux nappes immaculées, il me demanda pourquoi je ne quittais pas Robert. Je ne parvins pas à lui donner une réponse claire puisque moi-même, j'ignorais pourquoi je restais au sein de cette relation.

_ Tu comptes vraiment épouser Robert, me demanda t-il d'une voix brisée. Tu comptes vraiment tout sacrifier ?

_ Je ne sais pas, répondis-je en me servant un autre verre. Je ne sais vraiment pas.

_ Si tu l'épouses, ta vie est terminée.

_ Ma vie, pour ce qu'elle est, tu sais, ça n'a pas vraiment d'importance. Alors, épouser Robert ou un autre, ce sera pareil. Lui au moins, il a un fils adorable. C'est déjà ça. Et je suis habituée à lui même s'il sait se montrer particulièrement odieux.

Ma bouche disait ces paroles alors que mon coeur criait que c'était lui dont je rêvais de devenir l'épouse. La fierté mêlée à une peur de non réciprocité me paralysait. Je me taisais parce que c'était plus facile. J'étais résignée.

_ Regarde autour de nous. Tout le monde te regarde. Ils se demandent comment cette femme si élégante peut diner avec un type aussi banal et insignifiant... Tu ne ressembles à personne.

Je laissais échapper un rictus.

 _ Tu pourrais travailler, être indépendante et laisser la vie t'offrir ce que tu mérites, continua t-il. Crois-moi, tu mérites le plus beau. Tu mérites mieux que Robert.


Je pensais intimement qu'il était fou de penser que j'étais capable de m'assumer seule. Dans ma famille, aucune femme ne travaillait.  Être la première me paraissait impensable et ce, même à notre époque. Nous étions hors temps et hors catégorie. Je décidais de ne pas relever son idée.

_ Arrête, tout le monde te regarde toi, lui dis-je le sourire aux lèvres. Regarde bien, les femmes se demandent ce que tu peux bien faire en face d'une fille maigre et triste. Les hommes aimeraient avoir ton allure et les femmes aimeraient bien que tu sois assis face à elles...

Il ria à son tour avant de me prendre à nouveau la main, comme il le faisait depuis que nous étions seul. Il se pencha pour m'offrir son visage. Je pouvais sentir son souffle chaud balayer mes lèvres. Il me glissa suavement:

_ Tu es parfaite.



Le temps semblait s'être arrêté ce soir-là. En dépit de la salle remplie de monde, il n'y avait plus que nous deux. Nous étions seuls.Plus rien n'avait d'importance, pas plus Robert que le reste. Plus rien n'éxistait plus à part la langueur de ces minutes qui se murait en heures.
A la sortie du restaurant, il me saisit par la taille et m'embrassa. Nous avons continué sur le parking puis dans sa voiture. A chaque feux, nos bouches ne pouvaient s'empêcher de s'entremêler, encore et encore...




Puis vint le retour à la réalité. Déchirant, effarant, obligé.
Quand nous rentriâmes à la maison, je découvris que Robert ne s'était pas ennuyé.
Une femme dont je ne connaissais pas le nom dormait dans mon lit. Une autre prenait le petit-déjeuner face à lui en arborant une de mes robes.
Avant de passer le seuil, Amias et moi, nous nous étions enlacés pour nous dire aurevoir.
Il me promit de revenir rapidement en France et malgré cela, je craignais qu'il ne m'abandonne. Je le lui dis. Il me rassura.
Quand il nous vit entrer dans la pièce, Robert, sans nous saluer,  nous pria de nous assoir.

_ Ce n'est qu'une petite fête, rien de plus, justifia t-il en finissant son café.

_ Ton fils revient la semaine prochaine. Pense à lui, ai-je seulement répondu. Si tu ne pense pas à moi, pense au moins à lui.

_ Et vous, vous avez pensé à moi pendant votre escapade ? répliqua t-il sans nous regarder. La nana aux cheveux péroxydés qui était face à lui vint se mettre sur ses genoux. Il passa son bras autour de son épaule en tenant sa tasse dans l'autre main.

_ Robert, tu ne peux pas continuer à la traiter comme ça, intervint Amias en designant l'inconnue. Il y a des limites à tout.

_On t'a donné la parole à toi ? C'est beau les amis... On les considère comme des frères et ça ne vit que pour vous voler votre femme. Garde tes leçons pour qui tu veux.

_ Tu es jaloux? lui demandais-je. Ne me dis pas que toi,tu es jaloux... Ce n'est pas croyable.

_ On dirait bien, me répondit-il en invitant d'un geste la blonde à quitter ses genoux.

_ Tu ne devrais pas, dit Amias. C'était juste l'occasion de lui faire prendre un peu l'air, rien de plus. Inutile de voir le mal partout.

_ Je ne le vois pas partout puisqu'il est ici.


Fin de l'épisode. Amias prit son train deux heures plus tard. Robert chassa sa cour de chez nous. Une fois seuls, il m'accabla de reproches, cassa plusieurs bibelots, menaca de me mettre dehors. J'étais habituée à ce genre de scènes. Cela ne me choquait nullement.

Il me demanda de lui dire la vérité sur ces quelques jours. Il voulait savoir si je l'avais trompé. Je lui ai répondu que non, que nous nous étions embrassé mais qu'il ne s'était rien passé de plus. Il refusa de croire ce qui pourtant n'était que la vérité. Il bouda le reste de la journée.

Le lendemain, Robert m'appris qu'Amias allait se marier. Qu'il était parti en Angleterre pour remplir quelques formalités mais que dans moins d'un mois,  il allait faire un mariage d'argent. Il le lui avait dit avant Ramatuelle. Je n'en cru rien.
Inventait-il sans doute cette histoire pour nous séparer.

La vie reprit son cours quand Loulou, le fils de Robert revint de vacances. Je m'occupais du petit pendant qu'il travaillait. S'il m'en voulait encore, il ne me l'a plus montré. La routine reprenait ses droits.
Un week-end, il partit à Nice. Voilà qu'il me rendait mon escapade... Je ne saurais vous dire pourquoi mais  son infantilité m'amusait. Peut-être parce qu'il m'arrive souvent de me comporter comme une enfant moi aussi.


Un matin, alors que je m'appretais à aller courir dans le parc voisin, Amias me téléphona. Il m'annonça son mariage, me promit que rien ne changerait pour nous. Il ajouta qu'il ne l'aimait pas mais qu'il m'aimait moi.
Je lui ai répondu qu'il n'avait pas besoin de se justifier mais qu'il aurait pu m'avertir avant. Et j'ai raccroché.

Le lendemain, je le vis arriver de ma fenêtre. Je sentis mes jambes se dérober sous mon poids. Il était revenu.
Il portait une chemise bleu marine et un pantalon de costume de la même couleur.
Ses traits semblaient défaits.

Robert l'accueillit rapidement.
Ils echangèrent quelques mots, parlerent d'un ami commun qui faisait fortune dans l'immobilier et de quelques banalités.

_ Bonjour, dis-je timidement en entrant dans la pièce, la tête baissée, les cheveux ramassés, une cigarette feminine à la main.

_ Bonjour, me répondit Amias, en esquissant un sourire. Tu sembles en meilleure forme.

_ Oui, elle mange un peu plus, intervint Robert. Ça lui va mieux. On est sur la bonne voie.

_  Au fait, félicitations pour ton mariage. Tu aurais pu m'avertir plus tôt ! Ajouta Robert en me devisageant pour guetter ma réaction. Malheureusement, nous ne pourrons pas venir.  J'ai beaucoup de travail en ce moment et si tout va bien, une belle promotion  nous fera migrer vers la capitale au bout du chemin... J'espère que ça ne te contrarie pas trop.

_ Ne t 'en fais pas. C'est sans importance. Je ne crois pas au mariage de toute façon. Ceux qui s'aiment vraiment n'en ont pas besoin, déclara Amias en me regardant. Je me marie seulement pour sauver les entreprises de mon père.

_ J'espère que tu viendras quand même au nôtre, lança Robert en s'approchant de moi. Me prenant par les épaules, il raconta que notre mariage aurait lieu l'année suivante. J'en fus la première surprise. Il parla d'une grande fête dans un magnifique chateau à Tonerre près d'Auxerre. On s'y croyait presque.

_ Tu ne vas pas l'épouser ? me demanda Amias, aussi choqué que moi par la nouvelle. Dis-moi que ce n'est pas vrai.

_ Pourquoi je ne l'epouserai pas ? Repliquai-je en regardant la main de Robert qui se baladait sur mon épaule.

_ Si tu l'épouses, tu fais une croix sur tout.

_ C'est quoi, tout ?

Robert eut un rictus. Je savais qu'il n'avait pas l'intention de m'epouser ,qu'il faisait cela pour jouer avec moi mais surtout pour jouer avec Amias. Il fit comprendre à Amias qu'il désirait des félicitations de sa part. Ce dernier les lui glissa d'une voix d'outre tombe. Satisfait de lui, il alla se servir un scotch pur malt avant de se laisser tomber sur le canapé.

Le soir même, après le diner au silence incommensurable, Amias me demanda de sortir faire un tour dans le jardin.
Il partirait aux alentours de minuit prendre le train de nuit.
Des affaires l'appelaient pour le lendemain.
Quand il me vit frissonner,il me donna sa veste. Tous les hommes qui ont eu cette attention envers moi tout au long de ma vie gagnerent inévitablement mon coeur.

Il me fit promettre de ne pas me marier avec Robert.
Je lui repondis que je détestais l'idée du mariage et que je n'avais l'intention d'épouser personne.

Après quelques instants de silence, il évoqua sa future femme. Il la connaissait à peine et ne savait rien d'elle. Une anglaise issue d'une des plus riches familles de la ville, voilà tout ce que je savais d'elle.

Il ajouta que c'était un mariage d'argent et qu'il ne voulait pas me perdre.
Une fois la cérémonie passée, il promit de m'installer dans un appartement où il viendrait fréquemment me retrouver.
Il ferait jouer ses relations pour que j'obtienne l'emploi que je désire et me jura de me donner tout l'argent dont j'aurais besoin pour vivre confortablement.

Ma seule réponse fût que ma fierté m'empêchait d'accepter sa proposition mais que je l'en remerciais.

_ C'est donc ta fierté qui te pousse à rester avec lui ? me demanda t-il.

_ Et c'est donc la tienne qui te fait épouser une héritière pour sauver l'empire de ton père ?


Amias quitta la France le soir même. Inutile de vous raconter nos adieux glaçants et la tension qui regnait entre Robert et lui. Une amitié vieille de vingt ans mourrait par ma faute. J'étais dépitée. Aussi, je ne parvins pas à trouver le sommeil cette nuit-là non pas à cause du remord mais bien du regret de ne pas avoir accepté sa proposition.

Quelques semaines plus tard, j'appris son mariage dans un article sur le journal.
Je ne pouvais m'empêcher de penser à lui et à cette femme qui partageait maintenant sa vie. Étaient-ils heureux ? Je priais que non. Que faisaient-ils ? Je préférais ne pas le savoir.

Il m'arriva de nombreuses fois de m'en vouloir durant cette période, de regretter ma décision mais je n'y pouvais plus rien. Ce qui était fait était fait.

Peu de temps après, je suivis Robert à Paris où il reçu une belle proposition de poste.
Ce fut à ce moment là, qu'un grand magazine me proposa un emploi dont je ne n'avais ni  les compétences ni les diplômes nécessaires.

J'acceptais en dépit de l'avis de Robert qui préférait que je reste à la maison pour m'occuper de son fils et de la maison.
C'était inespéré et je ne pouvais pas laisser filer une telle chance.

J'appris plus tard que c'était Amias qui m'avait obtenu cette place. Il avait fait lire mes écrits au rédacteur en chef qui avait aimé mon style. Je suis certaine que sans lui, je n'aurais jamais pu prétendre à un tel poste.
Même au loin, même avec sa vie et ses affaires, il continuait à veiller sur moi...
Il commença alors à me manquer plus que de raison.


Un midi, alors que je sortais du journal pour déjeuner , il était là. Il m'attendait.
Je crus d'abord à un rêve mais il était bien là. Mon Amias, en personne au beau milieu des Grands boulevards. Je m'aperçu que c'était comme avant, que je l'aimais encore. Hésitant un quart de seconde, je lui sautais au cou. Je l'ai rapidement senti vaciller sous mon poids. Nul ne pouvait s'imaginer le soulagement ce que je ressentais au beau milieu de ce trottoir parisien. La joie de le retrouver combinée à un sentiment de réconfort que l'on retrouve dans le familier.
De loin, cette scène ressemblait à un happy end comme on en voit au cinéma depuis des décennies. De près, aussi sauf que nous n'étions pas dans un autre film que celui de la vie, vaste et éternel  tournage où le clap de fin n'existe pour personne.


Puis il y eut d'autres visites, d'autres rendez-vous. Il y eut aussi et surtout des promenades au bord de la Seine, quelques cafés en terrasse, deux pièces de théâtres fabuleuses, des portes cochères et tout ce que j'oublie.

Le bonheur de nous retrouver croissait à chacune de ses venues. Les étincelles dans ses yeux, mes mains dans les siennes, mon amusement quand il me prêtait son manteau, nous étions les rois d'un royaume qui se construisait davantage chaque jour.


Dès qu'il avait du temps libre et que son emploi du temps d'epoux le lui  permettait, Amias sautait dans un avion pour Paris.

_ Paris c'est mon grand amour, m'avait-il chuchoté un matin de printemps. La France,c'est toi.

Nous apprimes à créer des souvenirs qui n'appartiendraient qu' à nous. Chaque minute étant précieuse, nous nous employames à en tirer le meilleur.
Nous sortions dans les plus beaux endroits où nous avions commencé à prendre nos habitudes. Notre table nous attendait tandis que l'on savait quoi nous servir sans prendre la peine de noter notre commande. Il me couvrait de cadeaux, tous plus somptueux les uns que les autres. Avec mon beau salaire, je les lui rendais. Si au début il ne parvenait à les accepter, il y prit vite goût. C'était le bon temps.
Je ne suis jamais sentie autant vivante que lors de cette période. Si le bonheur devait prendre forme, je n'ai nul doute que ce serait celle-là. Amour et champagne. Flirt et papier cadeau.

Nous vivions dans notre monde à nous. Un monde fait de gastronomie et de théâtre, de promenades et d'embrassades. Un univers parallèle. Nous ne parlions jamais ni de sa femme ni de Robert. C'était tabou. Seul comptait l'instant présent et cela nous suffisait amplement.


Un soir,alors que je le raccompagnais à l'aéroport, Amias me fit la promesse de m'emmener en Inde.
Il savait que cette destination était mon rêve et nous allions ensemble le réaliser l'été suivant.

Il reitera sa promesse.

La perspective de ces vacances futures me fit pleurer de joie. C'était trop beau. Ne pensant pas plus à Robert qu'à l'excuse que j'allais devoir trouver, je me voyais déjà visitant le Sri Lanka au bras d' Amias et cette vision me conférait une joie sans nom.
Comme une enfant, je ne voulais pas qu'il parte. Je voulais qu'il reste pour me parler de l'Inde. Je le suppliais de rester quelques heures de plus à mes côtes. Juste un verre près de l'entrée. Juste une promenade dans l'aéroport. Quelques minutes. Quelques secondes de plus. Pour parler des vacances... Un soupçon de seconde alors...

_ Bientôt, nous passerons ensemble deux semaines ensemble. Bientôt... sois patiente.

Ces mots résonnent toujours en moi aujourd'hui encore. Bientôt... sois patiente. Encore fallait-il y parvenir...

Me voyant déçue, il plongea ses yeux dans les miens. Je le vis hésiter puis intercalant ses doigts autour de mon menton, il déposa un long baiser sur ma joue. Reculant son visage, il passa sa main dans mes cheveux. Il n'hésitait plus.
Doucement, presque incidemment, ilme dit qu' il m'aimait. La tendresse de sa voix mêlée à la rapidité de son élocution laissait présager que ce n'était que la première fois que ces mots frolaient mon oreille.
Ses yeux étaient embués comme si retrouver sa vie lui était devenu insupportable maintenant que ses mots étaient sortis de sa bouche pour marquer au fer rouge ma mémoire. Je pris alors sa main dans la mienne et la lui embrassa.

_ Va prendre ton avion. Va mon amour. Je t'attends

Il saisit son sac et après m'avoir regardé une dernière fois de loin, me tourna le dos. J'hesitais à le lui dire. J'hesitais à lui dire que je l'aimais, qu'il avait changé ma vie et que je ne cesserai jamais de l'aimer. J'allais remettre cette déclaration à plus tard quand je me souvins d'une réplique d'un film de Lelouch où Annie Girardot après sa séparation avec Montand tombe en pleurs face caméra et conclut la séquence par :
" Il faut toujours se voir comme si c'était la dernière fois."
Ce film s'appelait Vivre pour Vivre et ce jour là, il m'amenait à vivre pour le meilleur.
A ce souvenir,je mis  mes mains en porte-voix et lui cria ces trois petits mots. Comme il ne m'avait pas entendu, je recommencais :

_ Amias ! Je t 'aime ! Hurlai-je en dépit de toute cette foule qui se pressait autour de nous.

_ Je sais, me lança t-il en riant.

_ Quoi ?

_ Tu dis rien mais je sais tout !

_ Prétentieux ! Lui lancai-je avant qu'il ne rejoingne le terminal.

 A bientôt mon Amias.


                 ,                     ▪


De son côté, Robert continuait à aimer les femmes mais depuis peu, il buvait plus qu'à l'ordinaire, ce qui engendrait des crises de violences à chaque fois plus intenses.

Un jour, il me frappa au visage parce que je n'avais pas préparé le plat qu'il désirait manger. Tout le journal  me demanda ce qu'il m'etait arrivé.
Je racontais qu'on m'avait agressé pour mon sac.
On me crut ou on fit semblant de me croire. Je ne le saurais jamais. Ceci étant que la cohabitation devenait de plus en plus compliquée.
Sans doute Robert sentait-il que quelque chose avait changé. Peut être savait- il tout ?Ma culpabilité ainsi que ma volonté de protéger son fils me poussaient à excuser son comportement. Je restais envers et contre tout.

Un soir, alors qu'il rentrait complètement saoul d'une soirée entre amis, il m'annonca qu'Amias et sa femme avaient eu un accident  l'après midi même et qu'ils avaient trouvé la mort. Il ria aux éclats en me disant que ma belle romance était terminée et que c'était fini. Il ajouta que puisque j'avais tout perdu, il pouvait me fournir les cachets qui me ferait le rejoindre.

Je refusais de le croire. Ce que je pris pour un délire d'ivrogne était pourtant la vérité. Amias était mort et son épouse demeurerait à jamais handicapée. Amias Mort. Quatre petites lettres qui marquent à elles seules le point final d'une parenthèse aussi unique qu' inattendue.

La semaine qui suivit son décès, ma bêtise mêlée à mon malheur me firent, à elles deux, perdre mon emploi.
Le mois suivant, je suivais le conseil de Robert et je décidais d'en finir. Ceux que j'avais aimé n'étant plus là, je ne me voyais plus continuer à vivre dans un monde où ils m'existeraient plus.
La mort en personne refusa de m'accueillir. On me sauva de justesse. Ainsi va la vie. Nous n'y pouvons rien.


A ma sortie de clinique, je quittais Robert. Dans ma lettre de rupture, je lui disais que rien n'était de notre faute mais que la fatalité était responsable de tout. J'ajoutais que nous n'avions plus rien à faire ensemble et que je me respectais trop désirais pour accepter d'être constamment trompée. Le fait était surtout que je n'étais plus sûre de l'avoir un jour aimé.
En revanche, je lui confessais qu'il ne s'était rien passé entre Amias et moi. J'ai ajouté que je le regrettais aujourd'hui, que sans savoir pourquoi, je lui étais resté fidèle mais que je le regrettais amèrement.
Pour finir, je lui ai écris que je savais maintenant qu'il ne m'avait jamais aimé, que j 'avais désormais une vision claire de ce à quoi ressemblait l'amour et que notre relation en était le parfait opposé.

Le romantisme d'Amias avait mis en lumière son néant intérieur et je n'avais plus rien à lui dire.









Durant le temps de notre histoire, Amias  m'avait montré ce que c'était que d'offir son coeur à une personne. De tout lui donner sans chercher à recevoir quoi que ce soit en échange. Il avait lu en moi et moi, je m'étais trouvée grâce à lui.

Je suivis son conseil. Après ma convalescence, j'entrepris de trouver un emploi. Je voulais gagner ma vie et construire pas à pas mon indépendance.
" Tu ne ressembles à personne..."
Chacune de mes actions était un hommage silencieux. Une réponse secrète.

Rejoignant ma famille, je retrouvais peu à peu cette jeunesse que le temps m'avait volé en emportant avec lui mon enfant perdu et l'homme que j'avais tant aimé. Je naissais pour la seconde fois.

Un an plus tard, je demandais à Robert la possibilité de revoir son fils. Il refusa.
Cette page de ma vie était donc close.
Un nouveau deuil était à faire mais je possédais la force nécessaire pour le mener à bien.

Puis la vie à repris ses droits. Dans un bar, je rencontrais une nouvelle source de lumière. Un autre être qui brillait de différence et de bienveillance venait de rentrer dans ma vie pour ne jamais en ressortir. Le nom gravé sur ce badge a eu la force de me tirer des ténèbres pour me pousser de force vers la lumière périssable du jour. Un " manager of duty "aux yeux semblables à l'océan prit peu à peu possession de mes pensées.
La page était en train de se tourner.

Dans les limbes du souvenir, je revois parfois ce week-end à Ramatuelle.
La nuit, maintenant encore, j'entends parfois la voix d'Amias. Au réveil, il m'arrive de ressentir le gouffre du vide que sa disparition a laissé en moi mais l'euphorie de la réminiscence me pousse à retenir l'essentiel de cette histoire et à oublier le reste. Je me demande souvent ce qu'il se serait passer si Amias avait vécu. Je refais l'histoire sans la connaître. Peut-être que tout ce serait terni, comme avec Robert... Je me surprends à penser qu'au fond :


Pour qu'une histoire d'amour à jamais ne dure, encore faut-il que jamais elle ne commence.





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